
La judiciarisation de l'exécution des peines
Aux origines de la judiciarisation de l’exécution des peines en France (1789-1958)
La judiciarisation de l’aménagement des peines (parfois aussi dénommée "juridictionnalisation") en France est un processus qui ne débute pas avec la création en 1958-59 du juge d’application des peines. Le débat sur les conditions d’application des peines privatives de liberté accompagne l’essor de ce type de peines au XIXe siècle. Il s’agit d’en rappeler ici les principales étapes, en considérant l’exécution des peines dans les prisons, les bagnes portuaires et les bagnes coloniaux. 1958 apparaît alors tout autant comme l’aboutissement fruit d’expérience et de multiples réflexions que le point origine d’un processus inédit.
Il est tentant de ressaisir l’histoire de l’exécution des peines dans le mouvement d’une marche triomphale vers la judiciarisation de l’exécution des peines. Ce faisant, on instaure une lecture téléologique qui tend à effacer une dynamique faite d’hésitations, de tensions, de conflits et, au final, d’une certaine continuité rétive aux réformes. Le risque d’une lecture univoque est d’autant plus grand que la mise en œuvre de l'aménagement des peines privatives de liberté est aujourd'hui contenue dans un cadre juridique et dans une dynamique de juridictionnalisation de l'application des peines qui ne fait guère débat quant à sa légitimité. L'application et, par voie de conséquence, l'aménagement de la peine (libération conditionnelle, semi-liberté, placement à l'extérieur, suspension de peine pour raisons médicales, et plus récemment placement sous surveillance électronique...) sont placés depuis plus d’un demi-siècle sous l'autorité d'un juge spécialisé et le législateur contemporain n'envisage pas de soustraire au judiciaire ce domaine d'intervention. A une époque où les réformes se succèdent à un rythme qui compliquera le travail des historiens à venir, il apparaît essentiel de souligner cette évidence, en forme de constat de départ : l'aménagement des peines privatives de liberté est de nos jours une question de droit.
La mise en perspective historique suppose un décentrement du regard. Cet article consistera à dresser le tableau d’un temps, pas si lointain, où cette évidence ne s'imposait pas. Celle-ci est le résultat de la conquête par les magistrats d'un champ d'intervention régie par l’autorité administrative. En ce sens, l'aménagement des peines privatives de liberté appartient aussi, de plein droit, à l'histoire pénitentiaire. On distinguera ici deux périodes. Le XIXe siècle d’abord, puisqu’il ouvre un moment de transition contrasté durant lequel l’exécution des peines est sous l’emprise du pouvoir administratif, alors même qu’une revendication de contrôle par le judiciaire se fait jour. La première moitié du XIXe siècle ensuite, marquée par l’avènement d’un système judiciaire fondé sur le principe d’individualisation des peines.