
La création du CRHCP de l'ENAP

La création du pôle historique de la médiathèque de l'ENAP a été ma principale contribution au développement de l'histoire dans les enseignements de l'école nationale d'administration pénitentiaire, entre 2001 et 2004.
Lors de mon recrutement dans cette école en 2001, j'avais proposé de valoriser le fonds d'ouvrages de la Société générale des prisons, recueilli quelques années plus tôt par Christian Carlier et Catherine Prade, conservatrice du Musée national des prisons, à Fontainebleau. Il s'agissait de sortir le fonds de la pièce où il était entreposé, de le trier, de le cataloguer et de le mettre à disposition des lecteurs potentiels. Il s'agissait en outre de compléter cette collection d'ouvrages par la donation de la bibliothèque de travail du magistrat criminologue Gabriel Tarde, qui était alors préservée dans le manoir familial de la Roque-Gageac. Le projet ayant recueilli l'approbation et le soutien actif du directeur de l'époque (Patrick Mounaud), l'appui de Michelle Perrot, de Philippe Zoummeroff et de Jacques-Guy Petit, j'ai engagé la discussion dès mai 2001 avec la descendante de Gabriel Tarde (Mme Françoise Bergeret) et mon collègue Massimo Borlandi, professeur de sociologie à l'université de Turin. Cette discussion a abouti d'une part au dépôt des archives manuscrites de Gabriel Tarde au Centre d'archives contemporaines de Sciences Po et, d'autre part, à la donation à l'ENAP d'une importante partie de la bibliothèque de Tarde constituée pour l'essentiel d'imprimés (livres, brochures). En contrepartie de cette donation, l'ENAP s'engageait à valoriser le fonds et à baptiser sa médiathèque du nom de Gabriel Tarde.
Le Centre de ressources historiques sur l'histoire des crimes et des peines a été inauguré en septembre 2004, lors du 34e congrès français de Criminologie, organisé par l'AFC (association française de criminologie) à Agen. J'ai rappelé lors de cet événement les grandes lignes du contexte de création de ce pôle historique.
On trouvera ci-dessous un article détaillant le projet, les initiatives prises, les fonds rassemblés et les objectifs visés . Cet article a été initialement publié en janvier 2004 dans la rubrique "Vie de la recherche" du premier numéro de la revue Champ Pénal / Penal Field, créée à l'initiative de Pierre Tournier sur revues.org. La rubrique, depuis lors supprimée, l'article n'est plus accessible en mode dégradé que sur archive.org ou en copie ici.
Le voici reproduit, avec les photographies originales.
Pour la création d’un centre national de ressources historiques sur les crimes et les peines
Le champ de l’histoire de la justice connaît un développement continu depuis trois décennies en semblant se jouer des hypothétiques « crises » de l’histoire et de la justice. Si un retard tend ainsi à être comblé, si les questions liées à l’administration de la justice au sens large sont enfin devenues des objets dignes de mémoire et d’histoire, les sources permettant l’essor de ces recherches n’ont pas bénéficié de la même dynamique. L’impulsion du renouveau de l’histoire de la justice était venue, il y a trente ans, de la question des prisons. Aujourd’hui, c’est l’Administration pénitentiaire qui manifeste la volonté de créer un centre de documentation historique. L’ENAP est en effet engagée depuis deux ans dans la création d’un pôle historique au sein de sa médiathèque. Peut-on aller plus loin ? Cet essai de prospective n’engage que son auteur. Il s’agit d’envisager la possibilité de transformer à moyen terme ce pôle de documentation émergent en un centre de ressources à vocation scientifique, pédagogique et culturelle.

1 L’environnement du projet
1.1 L’ENAP
L’École nationale d’administration pénitentiaire est l’une des quatre écoles de service public rattachée au Ministère de la Justice. Sa mission est de former l’ensemble des corps de son administration (surveillant, conseiller d’insertion et de probation, chef de service pénitentiaire, chef de service d’insertion et de probation, directeur d’établissement…) en dispensant formation initiale et continue.
Implantée en 1965 sur le site de Fleury Mérogis, l’école d’administration pénitentiaire a connu de profondes transformations depuis 1997, tant dans sa localisation que dans son organisation. Elle a notamment été chargée d’une nouvelle mission de recherche et de documentation. Une telle mission est encore peu fréquente dans les écoles de service public. Jusqu’à cette date, seule l’ENA et l’ENSP possédaient des services de recherche reconnus par la communauté scientifique. Pour mettre en œuvre cette mission, l’ENAP s’est dotée en 1999 d’une direction de la recherche et de la diffusion structurée en quatre départements :
- recherche
- ressources documentaires ; édition et diffusion
- relations internationales et politiques partenariales
- animation scientifique et culturelle
En janvier 2000, la Direction de l’Administration Pénitentiaire confiait à l’ENAP la charge de créer et de développer un centre de documentation historique sur les crimes et les peines. En août 2000, l’installation de l’ENAP dans de nouveaux bâtiments à Agen parachevait l’une des plus importantes délocalisations nationales de ces dernières années.
Depuis janvier 2001, l’ENAP est un établissement administratif public doté d’un conseil d’administration et d’un conseil pédagogique et scientifique. Elle est membre du réseau national des 30 écoles de service public et développe des partenariats avec la communauté scientifique nationale et internationale par voie de convention. L’ENAP doit actuellement s’adapter à une accélération du rythme des recrutements pour faire face à une demande de formation croissante. En 2003, 5000 élèves ont fréquenté l’école. Un agrandissement des bâtiments est prévu sur le site agenais avec la création de salles de simulation de pratiques professionnelles en situation.
1.2 La médiathèque de l’ENAP
La Médiathèque de l’ENAP assure une triple mission d’information, de documentation et de formation. Elle était organisée de 1999 à 2002 en trois pôles :
- Le pôle « bibliothèque », chargé de la gestion d’un fonds contemporain spécialisé dans les domaines d’enseignement
- Le pôle « documentation », chargé de la mise à disposition des textes réglementaires, de la constitution de dossiers documentaires thématiques et de la mise en place d’une revue de presse
- Le pôle « multimédia », chargé de la constitution et du développement d’un fonds de documents électroniques et vidéo
La médiathèque gère un fonds contemporain de 16 500 documents (livres, thèses, rapports, mémoires,…) couvrant les grands domaines d’enseignement de l’école (Droit, politiques pénales, criminologie, sociologie…). Elle met à disposition du public un espace de consultation de documents vidéo et un espace multimédia. Le fonds en libre accès est constitué de 15 000 ouvrages, 180 titres de périodiques, 1200 mémoires d’élèves, 300 vidéos et une trentaine de titres de cédéroms. L’essentiel des documents est accessible au prêt à l’exception des usuels, des dossiers documentaires thématiques et des revues qui font l’objet de consultations sur place.
Le public est constitué d’élèves en formation initiale ou continue, des personnels de l’école, des personnels de l’Administration Pénitentiaire et de la justice, d’étudiants et de chercheurs.
En 2002, 35 700 personnes (soit 150 par jour) tous publics confondus (chercheurs, élèves, membres du personnel, …) ont fréquenté la médiathèque. Au cours de cette même année, 30 000 documents ont été empruntés.
2. Etat des lieux : le pôle historique de la médiathèque G. Tarde
Depuis janvier 2002, un quatrième pôle a été créé. Ce pôle « historique » s’inscrit dans un dispositif transitoire car il présente trois spécificités au sein de la médiathèque. Il se distingue par ses contraintes propres de conservation et de communication. Il est lié au département recherche pour la définition de sa politique scientifique. Enfin, il est transversal en ce qu’il rassemble ouvrages, documentation (archives) et supports multimédia.
2.1. des collections riches et spécialisées
Le fonds initial du pôle historique de la médiathèque de l’ENAP est constitué des collections mises en dépôt au Musée national des prisons par la Société générale des Prisons, en 1994. En février 2002, il a été enrichi par la donation de la bibliothèque scientifique du magistrat criminologue Gabriel tarde (1843-1904). C’est à cette occasion que la médiathèque de l’ENAP a été renommée « Médiathèque Gabriel Tarde ». Depuis cette date, l’ENAP a recueilli deux autres donations : l’ancienne bibliothèque de l’hôpital spécialisé du Gers et une collection d’imprimés et d’archives ayant appartenu au docteur Jean Dublineau (1900-1975). L’ENAP complète ces riches apports par une politique d’acquisition d’ouvrage très ciblée. Le fonds s’enrichit ainsi régulièrement de titres acquis auprès de libraires spécialisés et d’ouvrages contemporains à caractère historique sur les crimes et les peines (250 nouveaux titres en 2002-2003). Un catalogue général informatisé est en cours de réalisation. Il permettra d’identifier l’origine des ouvrages afin que l’identité propre de chaque donation soit respectée.
Le fonds de « Fontainebleau »
Ce fonds provient du Musée national des prisons, situé à Fontainebleau, dans une ancienne prison. Cet établissement à vocation muséographique ayant été défini en « Musée Société », l’Administration Pénitentiaire a décidé en 2000 de transférer le fonds documentaire à Agen pour y constituer le premier apport du futur centre de documentation historique. Les documents concernés sont essentiellement des imprimés. Les ouvrages patrimoniaux, les ouvrages concernant les prisons de Paris et les cartes et plans des établissements pénitentiaires sont restés au musée. Ces imprimés sont issus de la bibliothèque de la Société générale des Prisons ainsi que d’acquisitions effectuées par Christian Carlier dans les années 1990. Créée en 1877, deux ans après la loi généralisant le principe du régime pénitentiaire cellulaire, la Société générale des prisons a été jusqu’en 1914 un haut lieu de réflexion et de proposition législative sur la question pénale en France. Reconnue d’utilité publique en 1889, elle a joué un rôle d’ « association d’initiative parlementaire » en assurant la réunion régulière de ses membres et la diffusion de ses travaux en éditant un bulletin périodique rapidement devenu Revue pénitentiaire.
Ces collections concernent l’histoire des systèmes de pénalité et du régime pénitentiaire. Elles représentent environ 10 000 documents couvrant une période allant du XVIIIème siècle aux années 1950. Elles comprennent de nombreuses revues étrangères lacunaires. L’œuvre de réimpression en anglais des ouvrages classiques menée par l’éditeur Patterson Smith est en revanche quasiment complète. Ce fonds contient également quelques journaux de prisonniers, des comptes-rendus dactylographiés de séance de la Société générale des Prisons, des documents dactylographiés de consultation de médecins psychiatres en détention (années 1930) et des notes de cours. Les imprimés en langue française rassemblent :
- des périodiques complets, quasi-complets (Revue pénitentiaire, Revue de sciences criminelles et droit pénal comparé, Revue internationale de droit pénal, Bulletin de l’Administration Pénitentiaire, Revue de droit pénal et criminologie…), des périodiques lacunaires (Archives d’anthropologie criminelle, Bulletin de l’union des sociétés de patronage de France, L’Information psychiatrique, L’évolution psychiatrique, les Annales médico-psychologiques…)
- des ouvrages des XIXe et XXe siècles portant sur la réforme pénitentiaire (enquête parlementaire sur les prisons de 1872), le droit pénal, les sciences humaines, l’histoire de la révolution française, le mouvement social…
Le fonds Tarde
La donation à l’ENAP en février 2002 de la bibliothèque personnelle du magistrat criminologue Gabriel Tarde (Sarlat 1843 – Paris 1904) a constitué un apport de tout premier plan aux collections initiales. Il est rare en effet de pouvoir présenter à la consultation du public, une bibliothèque de scientifique. Celle des contemporains de Gabriel Tarde, comme Emile Durkheim ou Gustave Le Bon, sont par exemple définitivement perdues.
Magistrat, chef du service de la statistique au ministère de la justice, professeur au Collège de France, membre de l’Institut de France, Gabriel Tarde a été l’une des figures marquantes de la criminologie française de la fin du XIXe siècle. Plus connu de nos jours pour sa théorie sociologique et son opposition à Durkheim, Tarde a surtout été l’un des premiers critiques de la théorie du criminel-né de Lombroso. Il a beaucoup écrit dans le champ de la criminologie : il a commenté la statistique criminelle et a participé à la naissance de la psychologie des foules ; il a proposé des critères de certitude du jugement et a développé une théorie du crime et de la peine originale. Tarde a été membre de la Société générale des prisons. Il a co-dirigé les Archives d’anthropologie criminelle et a participé à de nombreux congrès d’anthropologie, de sociologie et de science pénitentiaire. Pour mener de front toutes ses activités, Tarde possédait une bibliothèque personnelle conséquente. Il estimait d’ailleurs qu’elle constituait son « cerveau extérieur ».
Cette bibliothèque comprend environ 3 000 documents portant sur les sciences du crime au sens large (sociologie, anthropologie criminelle, statistique, sciences juridique et pénitentiaire, psychologie…). Elle est composée :
- de collection de périodiques. Si toutes ces séries sont interrompues au début du XXe siècle, certaines constituent des tranches chronologiques complètes sur la période d’activité de Gabriel Tarde. C’est le cas notamment de la Revue scientifique (1868-1897, 47 volumes) et de la Revue philosophique (1876-1893, 40 volumes) : Revue de métaphysique et de morale, Revue des Deux-Mondes, Journal des économistes, Revue d’économie politique, Revue historique, Renaissance latine, l’Occident, Revue internationale de sociologie, l’Année sociologique, Bulletin de psychologie, Revue des revues, Critique politique, scientifique et littéraire, Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord, Bulletin de la société d’anthropologie de Bordeaux…
- des ouvrages et des notices relevant du droit, de la criminologie, de l’anthropologie, de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie.
La grande majorité de ces documents est en français. Il existe toutefois un fonds notable d’ouvrages en italien ainsi que quelques documents en anglais, en espagnol et en russe. Certains documents sont dédicacés par leurs auteurs et quelques-uns sont annotés de la main de Gabriel Tarde. Cette caractéristique place ce fonds à la frontière de l’imprimé et du manuscrit.
La documentation manuscrite (carnets de notes, brouillons de textes, correspondances…) a été déposée à Paris au centre des archives contemporaines de la Fondation nationale des sciences politiques. L’ENAP et la FNSP sont donc en collaboration pour la valorisation concertée des sources concernant la vie et l’œuvre de G. Tarde.
Le fonds d’Auch
Le fonds d’ouvrages anciens de l’hôpital spécialisé d’Auch a été donné à l’ENAP en 2002. Ce fonds comprend environ 1 000 documents du XVIe siècle à nos jours sur la psychologie, la médecine légale, la délinquance juvénile, la médecine générale, les congrès des médecins aliénistes. Les principaux périodiques sont les Annales médico-psychologiques (1865-1917 avec des lacunes), la Revue neurologique (1901-1917), le Progrès médical (1897-1902 et 1911-1919), les Archives de neurologie (1899-1911), la Revue de psychiatrie, L’Encéphale, l’Informateur des aliénistes…

Le fonds Dublineau
En juin 2003, l’ENAP a accepté la donation « Dublineau ». Le psychiatre Jean Dublineau (1900-1975) a été notamment médecin au Centre National d’Observation (CNO) de Fresnes et le premier médecin chef de Château-Thierry. Spécialiste de la prise en charge des alcooliques, de la délinquance juvénile et des questions d’expertises médico-légales, Jean Dublineau a développé une activité professionnelle en constante interaction avec l’Administration Pénitentiaire. Entreposé d’abord au Musée de Fontainebleau par les soins de Christian Carlier, ce fonds comprend la copie des nombreux rapports d’expertises médico-légales rédigés par Dublineau. Il est également composé d’ouvrages mais surtout de revues concernant la psychologie adulte et la délinquance juvénile : les Annales médico-psychologiques (série complète de 1938 à 1975), L’Evolution psychiatrique, Psychologie française, Revue de neuropsychiatrie infantile et d’hygiène mentale de l’enfance, Enfance, Feu vert, Rééducation, Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence…
Les fonds audiovisuels
L’ENAP possède un fonds documentaire constitué d’éléments sonores et visuels à mettre en synergie avec les fonds imprimés du pôle historique de la médiathèque. Ce fonds est actuellement inexploitable car il n’est pas traité. Il est composé de :
- 1 800 vidéos sur différents formats, professionnels et grand public (beta, U-Matic et VHS) produites par l’ancien service vidéo de l’école
- environ 1 mètre linéaire de photographies produites par les photographes qui se sont succédés à l’école ; ce sont des photos de fin de promotion, de fêtes du personnel, des différentes étapes de la construction de Fleury-Mérogis, de la délocalisation et de l’installation à Agen
- 3 370 diapositives environ datant de la fin des années 1960 à la fin des années 1970.
Fin 2003, le fonds historique rassemble, hors documents audiovisuels, un total de près de 15 000 documents avec 369 titres de périodiques.
2.2. Un traitement professionnel et une gestion informatisée
Les collections provenant du Musée national des prisons ont fait l’objet d’une décontamination préventive avant leur arrivée sur le lieu de stockage. Les 5 000 ouvrages sélectionnés dans ce fonds Fontainebleau ont été dépoussiérés et inventoriés. Les séries de revues ont été reconstituées, répertoriées et conditionnées dans des boîtes de classement en carton permanent. Tous les titres de revues ont été traités. Les séries de doublons ont également été reconstituées et archivées pour alimenter d’éventuels échanges. L’ensemble des documents des fonds Tarde et Auch ont été décontaminés, dépoussiérés et conditionnés par format en magasin. La donation Dublineau sera traitée en 2004.
Depuis avril 2003, ces collections sont en cours de catalogage à l’aide d’un logiciel spécifique réalisé par la société Crescendo Systèmes (Cassiopée) autorisant l’exportation de l’ensemble des données en UNIMARC - ISO 2709 - Rec 995 afin d’assurer une migration future dans un catalogue général compatible avec cette norme professionnelle. Le logiciel Cassiopée permet également l’exportation de données au format XML respectant la DTD BiblioML. L’indexation des documents du pôle historique se fait actuellement sur la norme Rameau gérée par la Bibliothèque nationale de France.

Photo MR novembre 2003
2.3. Des espaces adaptés
Le pôle historique dispose d’espaces propres indispensables à la conservation et à la communication de ce type de collections. Deux salles de réserve répondant aux critères de conservation ont été aménagées dans les services internes de celle-ci. Un espace de consultation de 14 places de travail a été organisé sur la mezzanine de la médiathèque afin de permettre le libre accès à quelques documents de référence et la consultation de la majeure partie du fonds historique, conservée dans les magasins.
Dans cet espace, 5 postes informatiques ont été installés dont un réservé à la consultation d’ouvrages numérisés. La médiathèque de l’ENAP est la première en France à proposer le logiciel « old-ebook » réalisé par la société Arkhênum à Pessac. Il s’agit d’un procédé de restitution originale offrant au lecteur un rendu en trois dimensions de l’ouvrage numérisé.
L’ouverture au public du pôle historique est prévue pour septembre 2004. Il est d’ores et déjà possible d’y travailler en prenant rendez-vous auprès de la médiathèque de l’ENAP.
3. Le projet : Un centre national de ressources historiques sur les crimes et les peines
Le pôle historique de la médiathèque de l’ENAP pourrait être transformé à moyen terme en un centre national de ressources sur l’histoire des crimes et des peines assurant une triple vocation scientifique, pédagogique et culturelle. Histoire de la criminalité, de la justice et des prisons : la thématique est à la fois ciblée et largement ouverte en ce qu’elle renvoie au fait divers, à la statistique, à la religion, aux sciences du crime et du criminel… Ce centre offrirait des services spécialisés tournés vers l’enseignement, la recherche et la diffusion publique. Le versant documentaire consisterait à rassembler en un lieu unique, à conserver, à développer et à mettre à la disposition des chercheurs, des élèves de l’école de l’ENAP, de l’ENM et du public intéressé, une somme de documentation pertinente et originale afin de faciliter l’essor des recherches sur les crimes et les peines. Cette documentation comprendrait une sélection de sources (archives, imprimés, documents audio-visuels) et de littérature grise (travaux universitaires, ouvrages, revues). Il s’agirait de créer, à terme, un lieu de référence documentaire sur plusieurs grands thèmes :
- l’Administration Pénitentiaire (politiques, personnels, établissements, population pénale)
- la criminologie (théories, enquêtes)
- la psychiatrie (institutions, expertise médico-légale, traitements)
- les représentations du crime et du criminel (presse, littérature, iconographie, audiovisuel).
Le versant scientifique et pédagogique du projet consisterait à développer en complète synergie avec ce service documentaire une politique de valorisation ambitieuse des fonds et des thématiques du centre de ressources. Cette politique pourrait être garantie par un conseil scientifique. Elle aurait pour effet une programmation cohérente et régulière en matière d’animation scientifique et culturelle. Il s’agirait ici de promouvoir de nouvelles recherches, de susciter ou d’accueillir des séminaires, des journées d’études et des colloques mais aussi des expositions (locales ou virtuelles), des conférences-débats et des tables rondes afin de sensibiliser un large public à la question du crime et de l’exécution des peines.
Le centre de ressources pourrait baser sa stratégie de développement sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies, par la valorisation de la documentation audiovisuelle, par ses partenariats et en offrant ses services à un large public.
3.1. Les nouvelles technologies au service de l’acquisition, de la conservation, de la diffusion et de la valorisation
La numérisation raisonnée de documents permet à la fois l’acquisition de nouvelles sources et la conservation de documents en mauvais état. A titre d’exemple, une première phase de numérisation a été engagée en 2002. Elle devrait se terminer en 2004. Elle concerne la première enquête parlementaire française sur les prisons (rapport de 1872), l’intégralité de la première revue française de criminologie (Archives d’Anthropologie Criminelle) conservée à la bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris (BIUM) et quelques documents richement illustrés (Assiette au beurre et Marrons sculptés).
La documentation sera accessible par une base de données informatisée. On pourra y opérer une interrogation sélective par auteur, date, mots-clefs, origine, titre, éditeur... Ce catalogue sera totalement compatible avec celui de la médiathèque de l’ENAP et sera consultable à distance via internet. De ce fait, il permettra un prêt inter bibliothèque pour le fonds contemporain hors réserve, en direction des bibliothèques liées aux écoles nationales dépendant du Ministère de la Justice ou des bibliothèques partenaires.
Au-delà de ce service à distance, le centre de ressources pilotera une bibliothèque virtuelle. Cette bibliothèque offrira un bouquet de services gratuits avec des documents numérisés, présentés et commentés par des spécialistes. Un tel site francophone n’existe pas à l’heure actuelle sur internet. Il proposera la consultation en ligne d’outils pour la recherche sur l’histoire des crimes et des peines : création d’un guide des ressources électroniques et portage de la bibliographie sur l’histoire de la justice créée par Jean-Claude Farcy et actualisée pour la période 1995-2003. Au-delà de ces services, la bibliothèque éditera des documents sources (périodiques, ouvrages, manuscrits) sélectionnés par un comité scientifique.
La première étape dans la création de cette bibliothèque virtuelle sur l’histoire des crimes et des peines a été formalisée dans la réponse en juin 2003 à un appel d’offre du CNRS (Action concertée « Histoire des savoirs »). L’objectif est de mettre en ligne à la fin de l’année 2005 un site portail sur l’histoire des crimes et des peines. Expertisé et sélectionné par les instances nationales du CNRS, le projet « Corpus criminologique : sciences de l’homme, traditions judiciaires et politiques pénales à la fin du XIXe siècle » tire son originalité de la mobilisation d’une équipe de chercheurs créée spécialement pour éditer des sources et des outils de recherche librement accessibles à tous sur internet. La délimitation de ce qui constituera la première étape du site portail vise un champ de savoirs et de pratiques plus qu’une discipline, une aire géographique plus qu’un pays. A un moment où nos sociétés occidentales mettent leurs politiques de sécurité au cœur du débat public, il nous apparaissait essentiel de montrer comment une histoire des savoirs entendue au sens large peut apporter sa contribution à la mise en perspective d’une question d’actualité. Ce site sera au service de la communauté scientifique et des praticiens du champ criminologique. Au-delà de ces publics, il vise également à susciter l’intérêt des non-spécialistes. Il sera composé :
- d’une base de données bibliographique portant sur l’histoire de la justice au sens large.
- d’une source disponible dans son intégralité : les Archives d’anthropologie criminelle (1886-1914). L’entrée s’y fera par un mode feuilletage, par la table des matières ou par mots-clefs.
La volumétrie en jeu est considérable : la base de données bibliographique comprendra 35 000 notices (contre 32 000 dans la version 1996). Quant aux Archives d’anthropologie criminelle, elles totalisent 29 tomes d’environ 800 pages chacun. En prenant en compte les illustrations (photographies, cartes, graphiques et schéma sur feuillet à déplier), c’est une somme d’environ 24 000 pages qui devront être numérisées. Les Archives comprennent environ 1400 articles de fond sur des sujets relevant de disciplines, de thématiques et de styles très différents. Cette mise en ligne sera accompagnée par un environnement intellectuel spécifique organisé en rubriques. Celui-ci renverra à de courtes notices de synthèse produites pour une lecture en ligne, à des articles d’analyse plus conséquents et à d’autres sources primaires jugées particulièrement éclairantes.
3.2 La sauvegarde et le développement de la documentation audiovisuelle
Dans une civilisation de l’image, un centre de ressources historiques ne peut se limiter à la seule conservation des documents imprimés. Au printemps 2002, l’ENAP a fait expertiser son patrimoine sonore et audiovisuel par le Laboratoire d’Anthropologie visuelle et sonore du monde contemporain de l’Université Paris VII D. Diderot. Ce fonds nécessite un traitement rapide, un tri et une migration sélective des documents conservés sur support obsolète, afin de réaliser un archivage numérique (vidéodisque).
Une politique d’acquisition et de valorisation des documents filmés sur le champ pénitentiaire devra être définie et développée, pour une mise à disposition comme support pédagogique d’enseignement et/ou archives historiques.
Ce volet pourrait également inclure la production d’archives orales sur les lieux et les personnels de l’Administration Pénitentiaire.
3.3 Mise en place de partenariats
Un partenariat entre l’ENAP, la Bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris, la Fondation Nationale des Sciences Politiques et le CNRS est d’ores et déjà constitué pour la réalisation du projet « Corpus criminologique : sciences de l’homme, traditions judiciaires et politiques pénales à la fin du XIXe siècle ».
La documentation manuscrite de la bibliothèque de Gabriel Tarde a été déposée au service des archives contemporaines de la Fondation nationale des sciences politiques. Une collaboration ENAP/FNSP est donc envisagée. D’une part, l’ENAP éditera un catalogue des imprimés et le déposera à la FNSP. De son côté, la FNSP pourra autoriser la reproduction partielle des manuscrits de Tarde dans le cadre du projet « Corpus criminologique ».
Dans tous les cas, le centre de ressources devra définir et arrêter son programme de numérisation en concertation avec des bibliothèques et structures partenaires comme les associations de chercheurs (la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme par exemple), la Banque numérique du savoir aquitain (BNSA) et le service historique de la Bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris. Le centre de ressources pourrait également devenir la tête d’un réseau documentaire géographique et thématique. A moyen terme, une réflexion pourrait être menée en concertation avec la BNF pour établir une convention afin d’obtenir le statut de pôle associé.
3.4 L’articulation d’une triple vocation scientifique, pédagogique et culturelle
En plus du public naturel de la médiathèque Gabriel Tarde (élèves, membres du personnel, chercheurs), le centre de ressources historiques devra être en mesure d’accueillir un public large et diversifié. L’observation de la fréquentation du fonds historique à Fontainebleau a permis de relever la visite d’étudiants, d’enseignants, d’historiens, de magistrats, d’architectes, de journalistes, de cinéastes, d’écrivains, d’archivistes et de collectionneurs. L’ENAP, le Ministère de la Justice et leurs partenaires pourraient adopter ici une stratégie concertée et volontaire de publicité vers tous les publics potentiels (ENM, universités, écoles nationales de service public, laboratoires de recherches, CDDP…) et par tous les moyens possibles, afin que ce service devienne un lieu vivant de recherche et de culture.
Des collaborations scientifiques et culturelles sont d’ores et déjà établies, dans le cadre du projet de site web et des actions menées pour la célébration du centenaire du décès de Gabriel Tarde. L’événement a été inscrit à l’initiative de l’ENAP dans les célébrations nationales de 2004. Il comprendra un colloque scientifique, une pièce de théâtre et l’édition de travaux. La première journée du 34ème congrès français de criminologie (8, 9, 10 septembre 2004) sera ainsi entièrement consacrée à la criminologie de Gabriel Tarde.
Nous étudions également la possibilité de créer un rendez-vous régulier sur Agen avec un salon du livre sur le crime et la justice. Des partenariats pourront être ici explorés avec des structures comme le Centre régional des lettres d’Aquitaine, des évènements tels que le Festival international du film d’histoire de Pessac ou le Mois du Patrimoine écrit.
Esquissée à l’initiative de la Direction de l'administration pénitentiaire, la perspective de la création d’un centre national de ressources historiques sur les crimes et les peines est un chantier avancé mais non clos. Si d’importantes initiatives ont été prises à l’ENAP depuis 2002, l’avenir n’est pas écrit. Quelques pistes ont été ici ouvertes au conditionnel. D’autres ne peuvent encore être formulées que sous forme de questions : le centre de ressources peut-il (doit-il) rester sous la responsabilité exclusive de l’ENAP ? Peut-il (doit-il) trouver sa place au sein d’une médiathèque publique présentant une composante thématique « Justice et société » ?
Cet essai de prospective aura atteint son but s’il parvient à susciter des échanges sur les enjeux du projet et les moyens de le réaliser. Il faut terminer sur une certitude, acquise au bout de deux années de travail collectif à l’ENAP : le projet de création d’un centre national de ressources historiques sur les crimes et les peines ne trouvera la voie d’une existence durable qu’à l’issue d’une large concertation visant à établir un partenariat combinant les échelles locale, régionale et nationale. Cette étape de concertation est nécessaire pour confirmer la pertinence documentaire, intellectuelle et politique du projet. Elle est aussi la condition indispensable à la mise en œuvre de ses attendus pédagogiques, scientifiques et culturels.
Marc Renneville
Responsable du département recherche de l’ENAP

Dans le prolongement de cet article, on trouvera les quatre premiers numéros du Lien. Bulletin d'histoire judiciaire et pénitentiaire (2005-2006). Une publication initiée en 2005 avec Philippe Poisson et le service des Archives départementales de Lot-et-Garonne (Isabelle Brunet et Pascal de Toffoli).