
Tatouages. Le tournant criminologique

Pourtant, lorsque paraît en 1881 «Les tatouages. Étude anthropologique et médico-légale», la presse nationale adopte un ton léger pour signaler une enquête suscitant un intérêt de curiosité. Il n’y a en effet que des « statisticiens » ou des médecins pour constituer une collection de 2000 tatouages à des fins d’études. Les rares journaux annonçant cette parution s’intéressent d’ailleurs moins aux analyses de son savant auteur qu’à relever les expressions «absolument caractéristiques» prises sur les soldats condamnés du deuxième bataillon d’Afrique telles « enfant du malheur », «pas de chance », « souvenir d’Afrique », « amitié », « souvenir, «le passé m’a trompé, le présent me tourmente, l’avenir m’épouvante », «Vive la France et les pommes de terre frites»… Ils rapportent aussi des portraits exécutés par copie de gravure de journaux, tels Garibaldi, Napoléon Ier et Jeanne Granier, une actrice chanteuse alors en vogue. Ils remarquent enfin que «certains tatoueurs sont de véritables artistes», gravant sur peau des compositions ; une chasse au lion, le martyre de sainte Blandine, l’accident du duc d’Orléans sur la route de Neuilly…
Si le livre d’Alexandre Lacassagne (1843-1924) aujourd'hui connu et reconnu comme le chef de file de « l’école lyonnaise » de criminologie s’inscrit dans une filiation médico-légale, il s’en distingue par sa méthodologie et l’intérêt porté au tatouage comme signe de criminalité. Son étude est représentative du mouvement d'anthropologie criminelle qui se développe alors en Europe, et notamment en Italie, avec les travaux de Cesare Lombroso. Le livre de Lacassagne contribua de manière décisive au tournant criminologique du regard savant sur le tatouage. Paradoxalement, c'est l'attention portée à l'exactitude de la reproduction des motifs tatoués qui allait aussi permettre, quelques années plus tard, l'essor d'une approche valorisant l'esthétique de ces marques corporelles.
Cette réédition est enrichie d’un cahier iconographique reproduisant plus de cinquante tatouages d’époque. Elle est présentée par Marc Renneville, DR CNRS au centre Alexandre-Koyré et directeur de la plateforme de publication Criminocorpus.
Éditions Jérôme Millon, collection « Mémoires du corps »
Parution : 25 avril 2025
136 pages + cahier iconographique couleur de 32 pages, 17 euros
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